À 18 ans, ce Franco-Marocain rêvait de partir se battre en Afghanistan. À 48 ans, Saïd Oujibou combat l'islamisme qui, selon lui, "gangrène les quartiers".
Par Ian Hamel
Publié le | Le Point.fr
Le pasteur évangéliste Saïd Oujibou lors d'un rassemblement de chrétiens et de musulmans contre la barbarie de Daech. © PHOTOPQR/LE PARISIEN/MaxPPP/ OLIVIER ARANDEL
C'est un chiffre qu'aucune Église ne souhaite donner, de crainte d'allumer des conflits. Chaque année, en France, dans la plus grande discrétion, plusieurs centaines de musulmans se convertissent au christianisme. En général, ils se tournent davantage vers le protestantisme qu'en direction de l'Église catholique. Saïd Oujibou ne fait pas mystère de sa conversion, et pour cause, il est devenu pasteur évangéliste, consultant en violence urbaine. Il organise même à Paris des conférences réunissant des chrétiens de culture nord-africaine et du Moyen-Orient. "Pourquoi ne raconte-t-on pas qu'en arrivant en Europe certains réfugiés syriens ou irakiens, qui ont vu les horreurs commises par Daech, renoncent à Allah pour Jésus ?" lâche ce Berbère de 48 ans.
Saïd Oujibou est né au bled, dans le sud du Maroc. En 1972, il arrive en France avec sa famille. "C'est vrai que je suis passé par l'islam radical. Si j'avais eu les connexions nécessaires, comme les jeunes musulmans aujourd'hui, je serais parti me battre en Afghanistan pour défendre mes frères musulmans. Face à l'Occident, et ses perpétuelles révolutions technologiques, nous sommes quelque part aigris de venir de pays qui ne décollent pas économiquement, et restent sous le joug de tyrans", lâche le pasteur, que nous avions déjà rencontré lors d'un one-man-show autobiographique intitulé Liberté, égalité, couscous.
"L'apostasie peut entraîner la mort"
Il a été indirectement touché par les attentats du 13 novembre dernier : un parent éloigné, le frère du mari d'une de ses nièces, Ismaël Omar Mostefaï, était l'un des terroristes du Bataclan. "Je ne le fréquentais pas, mais je le connaissais. Moi, comme le reste de ma famille, nous n'avons rien vu venir. Pourtant, je travaille sur un programme de déradicalisation. Ma nièce et son mari ont été interrogés pendant trois jours après les attentats", raconte le pasteur évangéliste, qui a l'habitude de travailler en terrain miné.
"Le gamin qui compte rejoindre Daech, il prend la précaution de posséder deux portables, deux comptes Facebook, deux mails. Apparemment, il ne change pas ses habitudes. Résultat, ses parents ne se doutent absolument de rien. J'ai même vu des filles venant de milieux chrétiens se radicaliser en moins de trois mois. La France ne se rend pas encore compte de l'incroyable pouvoir d'attractivité de l'État islamique", constate Saïd Oujibou, appelé régulièrement par des familles, des maires, des associations de quartiers.
Il faut rappeler que l'islam n'admet pas le changement de religion. Hani Ramadan, le directeur du Centre islamique de Genève, frère aîné de Tariq Ramadan et surtout fils de Saïd Ramadan, le premier dirigeant des Frères musulmans en Europe, expliquait dans Le Matin dimanche de Lausanne que "la loi islamique est extrêmement sévère sur la question de l'apostasie, qui peut entraîner la mort", ajoutant : "Dans le monde musulman, délaisser la prière, boire et forniquer sont des crimes pour lesquels la loi a prévu des châtiments."
Résultat : les anciens musulmans préfèrent dissimuler leur foi. En revanche, Saïd Oujibou assure qu'aujourd'hui il parvient à dialoguer avec les dirigeants du Conseil français du culte musulman (CFCM) et même avec l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans.
Des imams devenus chrétiens
"À la fin du mois de janvier, j'ai même prévu une rencontre avec des salafistes, l'un des courants les plus rigoristes et prosélytes de l'islam. Comme le Christ, il faut se confronter aux radicaux. Quelles propositions font-ils ? Si l'islam était vraiment la solution, comme le prétendent les Frères musulmans, je redeviendrais musulman ! On a vu le résultat de leur gestion en Tunisie et en Égypte", lâche le pasteur d'origine marocaine. D'où tient-il son optimisme ? Saïd Oujibou assure qu'il a même vu les imams se convertir au christianisme. Le seul problème, c'est que les nouveaux chrétiens n'osent pas révéler leur foi, même dans leurs familles, de peur de représailles.
Lors d'une précédente rencontre, le pasteur nous avait confié que c'était d'abord sa sœur aînée qui s'était convertie au christianisme. "Ma famille ne le supportait pas et la rouait de coups. Malgré cela, Fatima restait sereine. Sa joie de vivre m'a interpellé et je me suis converti à mon tour à 21 ans." Saïd Oujibou a ensuite suivi des cours de théologie pour enfin devenir pasteur. "Un jeune déradicalisé doit être soutenu très longtemps. Ses anciens amis ne cessent de le harceler. Il reçoit 15 à 20 mails de leur part chaque jour", ajoute-t-il.
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