23.05.16 - Aujourd’hui, on peut affirmer facilement certaines choses, tandis que d’autres passent mal. Le politiquement correct exerce son influence. D’où vient-il? Comment se construit-il? Touche-t-il les chrétiens? Comment réagir?
Découvrez sur ce site les autres articles de notre dossier consacré au politiquement correct.
Un écolier interdit de porter un pull avec l’image de la famille (sans texte) arborée par la Manif pour tous en 2013. Cette situation aussi réelle qu’anecdotique est révélatrice des effets du politiquement correct ambiant: il y a des choses que l’on peut afficher dans l’espace public et d’autres qui doivent en être bannies. Il y a les messages qu’on peut placarder, diffuser et ceux qui doivent être confinés à la sphère privée.
Exemple plus récent, les procès des deux évangéliques qui ont distribué un tract de témoignage de conversion à la foi chrétienne d’un homosexuel laissent à penser que le jugement en première instance n’a pas été rendu sur les seules bases juridiques. Les juges se sont-ils laissé intimider par les prises de positions des partisans de la cause gay ou par le politiquement correct ambiant? Et comment expliquer la posture de certains modérateurs de débats, dans les médias, qui rappellent aux contradicteurs des revendications LGBT ou aux dénonciateurs «d’un islam en guerre contre l’Occident que leurs propos n’engagent qu’eux»?
Effet de la mondialisation?
Le géopoliticien et ancien parlementaire suisse Jean-Pierre Graber l’explique par la mondialisation d’une part, et par le «mystère de l’iniquité», une cause spirituelle majeure, par ailleurs. En ce qui concerne la mondialisation, le penseur analyse que «l’imperium croissant entraîne avec lui des tendances fusionnelles. Il y a aujourd’hui prééminence voulue de ce qui est fusionnel, unificateur, par rapport à ce qui divise sans même présenter d’inconvénients».
Nous consommons tous Coca-Cola et McDonald’s, nous téléphonons tous avec Samsung ou iPhone. Les géants technologiques, médias en tête, ont accéléré ce mouvement, en fédérant la planète autour d’innovations telles que les Smartphones et leurs nombreuses applications. Avec, à la clé, des cultures relationnelles et sécuritaires communes, pour ne citer que ces deux exemples. Les attentats du 11 septembre ont pesé sur «l’opinion publique» autant qu’ils ont marqué les esprits, permettant de truffer les espaces publics de caméras de surveillance et de reléguer la protection de la sphère privée au second plan. Et ce n’est pas fini. Dernière trouvaille en date, l’application russe Findface, qui permet d’identifier un individu à l’aide d’un téléphone portable connecté aux données récoltées par les réseaux sociaux. Ce qui paraissait choquant hier est de plus en plus acceptable aujourd’hui.
Prophétie accomplie?
Mais ce qui est vrai de notre rapport aux autres, de notre liberté, d’une vision de l’environnement l’est aussi des perceptions morales ou spirituelles. Aujourd’hui, vous ne voyez pratiquement plus de campagnes publicitaires qui ne soient déclinées autour notamment d’un couple gay. Idem pour les films d’Hollywood ou les séries de télévision, où l’homosexualité apparaît forcément au détour d’une scène.
Pour Jean-Pierre Graber, l’explication est justement aussi spirituelle. Il en voit les avertissements dans les lettres des apôtres aux premières Eglises. «Il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs» (2 Tim. 4, 3), cite-t-il à l’appui, avant d’ajouter une explication que l’apôtre Paul avait déjà adressée aux Galates: «Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à ceux de la chair; ils sont opposés entre eux, afin que vous ne fassiez point ce que vous voudriez» (Gal. 5, 17).
Mike Evans, promoteur d’Evangile 21 en francophonie, écrit que si aujourd’hui le christianisme est politiquement incorrect, «ce n’est pas parce qu’il serait réfuté par la science ou l’Histoire, mais plutôt à cause de ses prétentions universelles, c’est-à-dire sa croyance dans une vérité absolue valable pour tous les temps et toutes les cultures. Or, cela va à l’encontre de l’incrédulité recherchée et cultivée de nos jours refusant tous les absolus et en particulier, les absolus religieux».
«La pensée unique: simpliste!»
Tout le monde ne partage pas ces analyses. Ainsi, l’éditorialiste Alain Duhamel balaie d’un revers de main ce qu’il voit comme «l’argument le plus court, le plus simpliste et le plus paresseux possible». Dans Libération, il a expliqué que s’en prendre à la pensée unique vise uniquement à discréditer le contradicteur plutôt que de débattre avec lui. «Une pensée unique qui interdirait la libre expression de ses adversaires ou qui vampiriserait le débat? Elle n’existe que dans l’imagination de ses marionnettistes. Ce n’est qu’une vieille ficelle usée jusqu’à l’épuisement, un artifice dialectique rebattu.»
Mais le journaliste Jean-François Kahn, auteur en 1995 de La pensée unique (éd. Fayard), cite maintes situations où les élites politiques et médiatiques se sont influencées entre elles, pour finir par imposer un discours dominant. «La pensée unique peut naître suite à de petites phrases médiatiques, d’un sondage ou rebondir sur une audience», rappelant à la fois qu’il ne faut jamais grand-chose pour faire basculer une opinion publique d’une position à une autre et pour en relever la
volatilité.
On peut même mesurer le politiquement correct, si l’on en croit Norbert Valley, président sortant du Réseau évangélique suisse: «Quand par exemple un chrétien a peur de témoigner de sa foi parce que sa réputation est en jeu, il est touché par le politiquement correct. Quand nous mettons en sourdine nos valeurs les plus importantes parce que nous cherchons d’abord à être bien vus ou lorsque nous ne sommes plus capables de nous indigner devant l’injustice et de défendre la cause du plus faible aussi».
Population «mouton»?
Pour Norbert Valley, pas question pour autant de baisser les bras: «Nous ne sommes pas victimes, mais responsables. Nous serions victimes si nous n’avions pas le choix.»
Jean-Pierre Graber juge également que les peuples eux-mêmes sont aussi responsables des avancées de la pensée unique. «Si aujourd’hui la population est bien plus favorable au mariage pour tous qu’il y a dix ans, ce n’est pas seulement parce qu’elle est influencée par certains groupes minoritaires activistes, mais aussi parce qu’elle-même souhaite un changement d’attitude et de législation dans ce domaine.»
Sur le plan moral ou des valeurs, les chrétiens confessants ont aujourd’hui l’impression de perdre une bataille législative après l’autre et de se retrouver en décalage croissant avec le politiquement correct. S’agit-il pour autant de répondre avec les mêmes armes à ceux qui s’en prennent aux chrétiens et aux valeurs chrétiennes aujourd’hui (lire aussi le débat entre le sociologue Philippe Gonzalez et Norbert Valley en page 19)? Valérie Budde-Kasteler, ancienne vice-présidente du Parti évangélique suisse, rappelle que «les chrétiens sont appelés à être sel et lumière». Le sel ne se voit pas, la lumière oui. Pour elle, les deux sont complémentaires, légitimes et
utiles.
Christian Willi