Les députés viennent d'adopter une loi obligeant toute personne "à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics » à déclarer tous ses identifiants électroniques.
Atlantico : Quel est le risque d'une telle mesure semblant reposer sur une définition plutôt floue d'un comportement? Une telle loi ne risque-t-elle pas d'être entendue de façon extensive ?
Rayna Stamboliyska : La condition concernant le comportement est complétée par une autre : les autorités devront également démontrer que le suspect est "en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme" ou encore que le suspect a soutenu, diffusé ou adhéré "à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes".
Disons donc que la disposition légale est plutôt cadrée.
Quant aux débordements possibles de la loi, il faut l'appréhender au delà de cet élément seul. Ainsi et de façon plus large, ce qui est à craindre est l'extension d'une répression administrative et le rétrecissement des pouvoirs de la justice. De nombreuses déclarations lors de l'audition à l'Assemblée font craindre le pire comme intentions et démontrent une détermination à balayer du revers de la main ce qui fait ce pays : le respect des droits fondamentaux.
Enfin, si l'on considère l'obligation qui a fait beaucoup de bruit dernièrement, à savoir que tout suspect devra fournir ses identifiants électroniques, elle fait partie des mesures individuelles de contrôle et de surveillance. Au-delà du réalisme de la mesure, il s'agit encore de comprendre l'esprit de la loi (donc, de s'extraire de l'anecdote pour voir the big picture). Comme souligné ailleurs, le point central de ce projet de loi est ces mesures-là. Elles cristallisent le transfert des assignations de résidence et autres perquisitions administratives caractéristiques de l'état d'urgence, dans le droit commun.
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Un seul identifiant oublié, trois ans de prison et 45 000 euros d'amende
Le moindre oubli sera lourdement sanctionné : jusqu’à trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Hier, en séance, un seul amendement sur le sujet a été examiné.
Déposé par des députés de la Gauche démocrate et républicaine il visait à supprimer cette déclaration au motif qu’elle « porte une forte atteinte aux libertés constitutionnelles : respect de la vie privée, secret des correspondances et droits de la défense ».
Selon ses auteurs, comme d’ailleurs les sénateurs, « nul n’est tenu de participer à sa propre incrimination ». Et ceux-ci de revenir sur la décision du Conseil constitutionnel du 4 novembre 2016 qui a rappelé « le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ».
Autre argument : cette mesure viendrait heurter le principe de nécessité puisque la loi sur le renseignement prévoit depuis le 24 juillet 2015 une armada de mesures pour « récupérer les identifiants techniques de connexion, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ou du juge administratif, qu’il s’agisse de l’accès aux données de connexion (article L. 851‑1 du Code de la Sécurité intérieure) ou du recueil en temps réel des données de connexion (article L. 851‑2 du Code de la Sécurité intérieure) ».
Enfin, les députés GDR ont jugé « paradoxal » d’inscrire cette obligation dans le droit commun alors qu’elle n’est pas prévue dans le cadre de l’état d’urgence, censé être plus sécuritaire que sécuritaire.
Une obligation adoptée « pour des raisons opérationnelles »
En fin de route, vers une heure du matin, le rapporteur a exprimé un « avis défavorable » expliquant rapidement que l’obligation devait être adoptée « pour des raisons opérationnelles ». Et Gérard Collomb de se délester d'un même « avis défavorable », sans autre explication.
La commission des lois avait déjà expliqué que ces informations, qui ne concernent pas les mots de passe, seront « très utiles aux services de renseignement » puisque ces derniers pourront alors suivre à la trace et en temps réel les personnes concernées. Soit un véritable pont dressé avec la loi sur le renseignement.