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Je suis née en l'an 2000, à l’ère de la téléréalité que je regardais beaucoup en rentrant de l’école, sans supervision, alors que je n’étais qu’au primaire. J’ai toujours cru que c’était cela la vraie vie, les vraies valeurs, les vraies beautés, et les vraies perspectives.
Dès que j’ai pu, j’ai eu un compte sur un média social, beaucoup d’inconnus me complimentaient alors que j’avais une beauté moyenne, je ne voyais pas qu’il s’agissait de loups en recherche de chair fraîche. Cela m’a encouragé à devenir plus féminine, à poster des photos un peu plus lascives, je développais une addiction à l’approbation et aux retours positifs, donc j'ai fait des procédures cosmétiques. Harmonisation du visage et du corps, botox, gonflement des lèvres ...
J’ai acquis tellement d’abonnés que lorsque je postais une photo et que je n’avais pas plusieurs retours positifs au bout de quelques secondes, je déprimais et je supprimais la photo au bout de quelques minutes. Je déprimais lorsque je n’avais pas ma dose d’adulation. Pourtant j’avais des partenariats, j’avais des entrées d’argent considérables, mais c’est un mode de vie très addictif, on se crée des problèmes qui n’existent pas à la base et après on pense au suicide lorsque les choses ne fonctionnent plus comme on a planifié.
J’étais sollicitée par les marques, les autres influenceurs, les hommes, les femmes, j’étais le centre de mon monde. C’est ce que je croyais, je vivais dans ma bulle, lorsque quelqu’un ne me reconnaissait pas, j’étais vexée, je me disais que cette personne vivait dans une grotte, alors qu’en réalité, j’étais en dessous des influenceurs les plus populaires. L’être humain n’a pas besoin d’une position élevée pour développer un orgueil démesuré.
Lorsque j'ai commencé à avoir de l’argent, j'ai évolué avec des personnes de même niveau et ce n’est pas forcément conscient. Les endroits que vous fréquentez font rencontrer des personnes qui fréquentent aussi ces endroits. C’est un monde où personne ne dit vraiment ce qu’il pense, mais on arrose tout le monde de diverses flatteries et autres formules attendrissantes (ma chérie, c’est quelqu’un d’exceptionnel, quel talent, …). On nous le dit tout le temps, et la plus grande erreur est d’y croire.
J’ai commencé à côtoyer des personnes qui allaient régulièrement à Dubaï. J’avais déjà entendu dire que des chanteuses très célèbres ou des actrices très connues, se prostituaient à coup de millions d’euros à travers le monde, ce n'est pas différent pour certaines personnes connues au niveau des réseaux sociaux. Presque tout dans ce monde tourne autour de l’argent et de la prostitution. Vous vous demandez pourquoi autant d’influenceurs vont à Dubaï ? La prostitution !
On se prostituait auprès d’hommes capables de payer votre vol en première classe. Je ne dis pas que tout ce monde se prostitue, mais il y en a vraiment beaucoup et de toutes les nationalités. Les réseaux sociaux sont une sorte de vitrine pour ce marché. Les filles et les garçons se mettent en exposition, les hommes fortunés avancent leurs prix et ce sont des sommes très attractives : 10 000€, 15 000€, 20 000€, et beaucoup plus selon ta notoriété. L'année dernière une influenceuse anglaise a été arrêtée avec plus de 200 000€ par les douanes à l'aéroport, à son retour de Dubaï... ne vous posez pas plus de questions sur la source de cet argent et les motifs de son séjour, pour ses fans, elle était en "vacances".
Pour taire ma conscience, j’ai commencé à boire de l'alcool et à me droguer à l’occasion.
Passée l'euphorie des premiers temps, je n’étais jamais heureuse, du moins pas longtemps. Alors on se maintient heureux artificiellement, et cela pousse au suicide, on ne peut tromper son propre cerveau. Cette vie a vidé mon âme, je me sentais un être humain vide, j’avais besoin de médicaments et tout ce qui pouvait m’apporter un peu de joie et me rassurer sur le fait que tout cela était normal. Je voulais me convaincre que j'avais toujours voulu cela, admiré ce train de vie, que j'y étais, donc il fallait que je sois contente.
Lorsque j’avais ces « attaques » de lucidité, je voulais me suicider. Je dis bien attaques, car la réalité revient toujours violemment à la surface, peu importe combien on essaye de taire et cacher, on se dit alors qu'on restera sobre le moins de temps possible. Lorsque je me maquillais j’étais obligée de me regarder dans un miroir, je me demandais alors qui j’étais, qui était cette personne, et j’avais honte. J’assouvissais les fantasmes les plus horribles de ces hommes, je me demandais comment j’avais pu accepter et pourquoi j’y retournais.
Je retournais à cette vie parce que je croyais qu'une fois les pieds dedans, j' n'avais plus le choix. Je devais maintenir mon niveau et mon train de vie, mais je peux vous dire qu’à moins d’être mentalement très fort, l’argent facile part facilement. C’est comme une malédiction, je gagnais en un mois ce que mes parents gagnaient en une année, et je suis incapable de dire ce que je faisais ou ce que j’ai vraiment fait de cet argent. J’étais vide, je n’avais pas de perspective d’avenir, je ne savais rien faire, j’avais à peine eu mon BAC dans un monde où des gens qui ont des Masters sont au chômage, qu'est-ce que je pouvais faire en dehors de ce que je faisais ?
Je ne me voyais pas mener une vie ordinaire, mais je ne voulais pas non plus demeurer dans ce milieu. De toute façon dès que tu arrives à un certain âge, à moins d’être très connue, les hommes ne te cherchent plus tellement. Ils ont largement le choix, il existe des millions de comptes sur les réseaux sociaux avec des hommes et des femmes, prêts à tout pour "réussir". Je me disais que j’arrêterais de me prostituer vers l’âge de 24 ou 25 ans, c’était même déjà ambitieux, ils veulent nettement plus jeunes.
Les gens me voyaient en photos, ils voyaient une jeune femme heureuse, beaucoup me contactaient, surtout des très jeunes mineures pour me dire qu’elles m’admiraient et voulaient me ressembler. Tout le monde veut réussir avec le néant, alors on veut savoir qui sont tes managers, qui sont tes contacts, comment tu as fait… et tu réalises qu’ils sont prêts à aller même plus loin que toi, c’est d’ailleurs là que j’ai réalisé que je participais à cela, ce système j’en étais une des briques.
J'ai appris une chose que je garde à l’esprit : « Tout paradis terrestre a son serpent ».
En réalité personne ne t’aime, chacun est là pour se servir de toi, profiter de toi, de ta jeunesse, de ton argent, de ton réseau, et moi-même j’ai profité et écrasé les autres, à ma honte.
Il y a une chose qui s’appelle la conscience, nous avons le choix de l’écouter. Si je continuais à fuir ma propre conscience, je serais morte à force de me droguer et de m’alcooliser pour taire cette voix. Un jour j’ai eu le déclic, personne ne peut t’imposer un déclic, ça vient tout seul. Un jour tu le sens, tu le sais, et tu as le choix. J’ai fait le choix de vivre, de me regarder en face, et ça a été extrêmement difficile et tortueux. Pour de l’argent j’ai menti à mes fans, pour de l’argent je me suis humiliée auprès d’hommes dégoutants, pour de l’argent je me suis abaissée plus bas que terre. Je voulais moi-même croire à ce bonheur mais tout était faux, j’étais vide, un zombie.
J’ai perdu mon identité, je ne savais même plus en quoi je croyais, quelles étaient mes limites, quelle était ma droiture, qui j’étais. Lorsqu’on commence à faire ce qu’on condamnait soi-même, on commence à ne plus savoir qui on est, on suit un mouvement et on n’a plus d’âme.
J’avais envie de redevenir quelqu’un. J’ai dû quitter ma villa pour un studio de 18m², une fois que l'argent a cessé d'entrer. Inutile de vous dire que j’ai eu des dépressions, il a fallu me réadapter et apprendre à apprécier la paix d'une vie simple. Il a fallu que je recrée une nouvelle personne alors que j’étais déjà adulte. Il a fallu que je réfléchisse à une autre vie, à des limites, à des perspectives. J’ai fait une formation, j’ai un emploi très modeste, j'apprends à faire face, ce n'est pas facile de cesser d'essayer de séduire partout où je vais. J’ai beaucoup lu les livres de sagesse de la Bible, c’est incroyable comment ils sont très justes. N’envie pas le riche, quand tu entres chez lui n’admire pas ses richesses, s’il t’invite à sa table ne croit pas que son cœur est avec toi…
J’ai vu des millionnaires qui ont des vieux téléphones, et j’ai vu des pauvres qui ont du mal à payer leur loyer, mais qui ont les derniers iPhones, payés en plusieurs fois, parce que tout est vanité. Quelle malédiction !
PS : La prostitution à Dubaï est un phénomène dont on parle réellement depuis 2017. C'est une ville qui est devenue ce que certains appellent "Les Etats Unis de la Prostitution", car les filles et les garçons venant des Etats-Unis, du Nigéria, de Chine et d'Europe, y vont pour se prostituer. Les clients sont des hommes très riches, d'origines africaine, pakistanaise, arabe en général, et occidentale. Pour une partie de ces hommes, c'est le lieu de rencontre pour assouvir en cachette des relations homosexuelles mal vues ou interdites dans leurs pays d'origine, ou l'occasion d'avoir des relations avec des occidentales. Il n'existe pas que des personnes qui s'y rendent pour leur propre compte, il existe malheureusement des personnes victimes de trafic humain qui y sont conduites de force.
La prostitution est interdite aux Émirats, quelques prostitués masculins et prostituées féminines sont quelques fois expulsés, mais cela n'empêche en rien la progression de ce phénomène. Des milliers de jeunes continuent d'y affluer.